Primrose n’arrêtait pas un seul instant. Elle allait et venait entre les rayons, aidait les clients à faire leur choix et rangeait les vêtements que les gens avaient laissé près des cabines sur les étals. L’air de rien, ce travail était harassant, car il fallait être capable de piétiner sur des talons et faire la potiche pendant des heures. Oui, pour ça, Primrose Joey Parker aurait mérité une médaille. Durant un moment de calme, elle s’accouda à côté de la caisse, soupira, et passa ses mains sur son visage. Se tenait à ses côtés Winston, son ancienne amie et collègue, à qui elle sourit un instant. Elles discutèrent un peu, critiquant tel ou tel client particulièrement agaçant. « Je ne vous paye pas pour discuter, au boulot ! » s’écria alors le patron, et elle ne répondit pas. Non, la demoiselle ne répondait jamais car il n’hésiterait pas à la virer au moindre faux pas. Au fond, Primrose n’avait pas besoin de ce job : de l’argent, elle en avait largement assez. Le problème, c’est qu’elle refusait catégoriquement de vivre comme un parasite de la société, elle voulait être fière d’elle, d’avoir accomplis quelque chose et gagné de l’argent par elle-même. « PARKER, VA DONC SERVIR LE MONSIEUR ! » hurla le gros homme, et elle serra les poings. Ces conditions n’étaient plus acceptables, elle n’était pas une esclave. Souvent, elle rêvait de la meilleure façon de l’envoyer bouler, de lui jeter son uniforme à la gueule et lui dire d’aller se faire voir. Mais chaque fois, Primrose se réveillait le matin avec la certitude que si elle ne craquait pas, elle était plus forte que lui. Et Prim en avait encaissé des choses au cours de sa vie : pas de père, insultes, agressée sexuellement par son beau-père, mort d’une amie … Oui, Primrose, à vingt ans, connaissait la vie. Elle releva ses yeux bruns vers l’homme en question et ne put s’empêcher de sourire, amusée. « Ah, bonjour Jayden. » déclara-t-elle en rougissant légèrement. Jayden venait parfois ici pour lui faire des avances. Si il n’était pas lourd, il n’était pas très discret pour autant et Primrose savait très bien à quoi s’en tenir avec lui. Elle fit mine de ranger un vêtement et continua d’une voix douce : « Désolée que tu aies assisté à l’une de ses crises d’hystérie. » Elle s’amusa à le mimer, faisant de grands signes des bras et bombant le torse après s’être assurée qu’il ne la regardait pas. Elle rit un peu et passa une mèche de cheveux derrière son oreille. « Tu as besoin de quelque chose aujourd’hui, ou … Tu passes comme ça ? » La demoiselle aimait bien la présence du jeune homme, bien que ça la stresse légèrement. Après tout, entre son copain et elle, c’était déjà assez compliqué comme ça. Alors si Ronan apprenait qu’un garçon plus âgé (il détestait plus encore, quand le garçon était plus âgé qu’elle) venait la chauffer, ce serait la guerre entre eux.

Primrose sourit et balaya sa remarque d’un geste de la main. « Hunhun c’est rien, t’inquiète. » Elle ne réagit pas à la fin de sa phrase, se contentant de lui lancer un regard amusé. Elle l’observa attentivement, lui qui était si grand devant elle qui se sentait minuscule. « Très joli costume, tu es élégant, comme toujours. J’aurais dû me douter que ma question était débile. » Elle se mordit la lèvre et regarda son patron, avant de se retourner vers Jayden et d’acquiescer d’un signe de tête. « Tu ne me déranges jamais. » répondit-elle d’un air sérieux, avant de mettre en place son idée. Elle fit semblant de lui montrer des rayons et des styles de vêtements, alors que tous deux n’en avaient que faire. Au fond, Primrose n’avait jamais vraiment compris pourquoi il s’intéressait à elle ainsi, elle qui n’avait rien d’exceptionnel. Certes elle était riche, voire très riche, mais … Personne ne le savait vraiment. Sa mère, qui était une ancienne pop-star, n’était aujourd’hui qu’une femme comme une autre. Et personne n’était au courant pour les activités de son père. Elle passa sa main sur sa nuque et demanda : « Tu vas bien depuis la dernière fois ? Ça faisait un moment. » La demoiselle ne savait pas vraiment comment se comporter avec lui, et bien qu’elle arrive à sourire en permanence, elle se sentait assez mal à l’aise. Et il devait le remarquer. Parce que Primrose, si elle ne le savait pas, sentait bien qu’ils n’étaient pas du même monde. Une grâce et une puissance intrigantes émanaient de son être, il en « imposait grave » comme disaient ses amis. Comme elle sentait le regard de son patron posé sur elle, Prim s’empara du premier vêtement qui lui passait sous la main et exhiba fièrement une nuisette transparente avec des bretelles en dentelle, avant de fermer les yeux, rougir et soupirer. Un seul mot lui vint à l’esprit : merde. « Non, je comprends, vous voulez quelque chose de plus soft ! » dit-elle plus fort pour que le gros homme l’entende. Mais tel qu’elle connaissait Jayden, il ne laisserait pas passer ça sans réagir. Il allait forcément la provoquer, la taquiner, la mettre plus mal à l’aise qu’elle ne l’était déjà. Elle reposa le vêtement et évita son regard, en se mordant la lèvre pour ne pas éclater de rire.

Primrose éclata de rire et se reprit bien vite pour que son patron ne l’entende pas. « Si tu pouvais l’attacher à une branche d’arbre et taper dessus avec un bâton, ce serait parfait ! » dit-elle en riant plus discrètement. L’image de cet homme servant de piñata était terrible, et elle se promit de le dessiner en rentrant chez elle. Elle secoua alors la tête et continua : « Je commence à avoir l’habitude, il ne sait faire que ça. Et puis je ne craquerai jamais devant lui, il serait bien trop content. Et ce n’est pas dans mon tempérament de me laisser avoir ! » Elle sourit brièvement et le remercia de lui avoir proposé son aide. Jayden, derrière ses airs de coureur de jupon, était une personne bien et très attentionnée. Il ne le montrait pas vraiment, mais Primrose le voyait ainsi. A moins que ce ne soit qu’une manière de plus d’essayer de la draguer, bien qu’elle soit persuadée qu’il ne le fasse pas pour cette raison. Comme elle s’en douta, le jeune homme ne manqua pas la perche qu’elle lui tendit involontairement. Elle donna des petites tapes sur le vêtement, mal à l’aise et amusée à la fois, rouge jusqu’aux oreilles. « Tu dois bien avoir des tas de filles à tes pieds non ? Enfin l’une d’elle serait RAVIE de porter ça pour te faire plaisir, je suppose. » Prim insista sur le mot ravie pour que son patron ne commence pas à se poser des questions sur le contenu de leur discussion. Elle jeta un coup d’œil discret à sa montre et son sourire s’élargit : « Je finis dans cinq minutes. Est-ce que ça te dirais d’aller boire quelque chose ? Ce sera plus agréable que de parler ici. » Elle s’excusa de le laisser patienter et fila chercher son sac, observa son reflet dans le miroir et passa sa main dans ses cheveux, et salua Winston avant de retrouver Jayden devant la boutique. Elle soupira d’aise quand le vent léger caressa son visage et secoua doucement ses cheveux. « Ô libération ! » murmura-t-elle avec un grand sourire. « Où est-ce que tu veux aller ? C’est moi qui invite ! » lança-t-elle joyeusement.

Primrose éclata de rire et haussa les épaules. « Oui, c’est pour m’excuser de t’avoir fait attendre ! Je déteste faire attendre les gens ! » Elle jeta un coup d’œil vers l’utre côté de la rue, s’assurant que Ronan ne soit pas là. Si il la voyait partir avec Jayden, il se poserait des questions, la suivrait, ferait un scandale. Or là elle n’avait aucune envie de se battre avec lui, seulement de profiter de la présence du jeune homme et se détendre. Elle posa sa main sur son bras et sourit. « Quel gentleman ! » s’exclama-t-elle, ravie. Puis elle hocha la tête et continua : « Parfait, allons-y. » concéda-t-elle en traversant la route prudemment. Elle poussa la porte et entra, saluant au passage le patron derrière le comptoir. Alors Primrose se dirigea à une table un peu à l’écart, où ils seraient tranquilles. « Ne crois pas que je suis asociale, se justifia-t-elle, c’est juste pour qu’on puisse parler tranquillement ! » Jayden savait très bien qu’elle n’était pas asociale, au contraire. Primrose était loin d’être timide et engageait facilement la conversation avec les gens. Sa curiosité et sa gentillesse la poussaient à accepter tout le monde sans jugement, et les autres l’appréciaient pour sa tolérance et sa bienveillance naturelles. Elle commanda un cappuccino et attendit que le jeune homme ait commandé quelque chose aussi pour s’intéresser de nouveau à lui. Elle prit appui sur son bras et posa son menton sur la paume de sa main, avec un sourire doux aux lèvres. « Je me suis rendue compte qu’au fond, je ne savais pas grand-chose sur toi. A part ton nom, ton âge et ton boulot, en fait. Parle-moi de toi. » Jayden la fascinait, elle n’aurait su dire comment ni pourquoi. Tout chez lui l’intriguait, la faisait douter. Il possédait une arrogance et une confiance peu communes. Pourquoi ? Prim espérait obtenir des réponses sur lui, comprendre d’où il venait. « Enfin si tu ne veux pas me répondre, ce n’est pas grave. C’était un peu idiot, comme question. » lâcha-t-elle, consciente de son impolitesse. Elle rougit légèrement, mais ne se départit pas de son sourire.